Alors on va s’attaquer à du lourd, du très lourd (2kg !). PAX PAMIR est un jeu de conquête de Cole Wehrle et édité chez Wehrlegig Games. Pour ceux qui aiment les gros jeux, vous aurez immédiatement remarqué qu’il s’agit du même auteur que (l’incroyable !) Root.
Vous débarquez au milieu du XIXe siècle dans le Grand Jeu opposant les colonies britanniques et russes dans le Moyen-Orient et vous allez devoir asseoir votre domination sur l’Afghanistan en collaborant avec les trois différentes alliances en présence sur le territoire. Pour cela, vous allez inviter chez vous des hauts dignitaires qui vous donneront de nouveaux accès tactiques afin de vous mener jusqu’à la victoire.
En route vers l’Afghanistan …
La mise en place est assez rapide. On commence par distribuer à chaque joueur un plateau individuel qui servira à rappeler les différentes notions importantes du jeu ainsi qu’un disque qui servira à indiquer l’alliance dont on fait partie et quatre rupees, la monnaie du jeu.
On constitue ensuite le deck du jeu. On forme six piles contenant 5 cartes plus une par joueur puis on ajoute à cinq des piles une carte « évènement ». Parmi ces dernières, une recevra un « évènement » supplémentaire tandis qu’on ajoutera aux quatre autres une carte « contrôle de dominance ». On mélange chaque sous-deck et on les empile afin de former le sabot du jeu. Les autres cartes ne seront pas utilisées au cours de la partie.
On ouvre alors le marché qui consiste en deux lignes de 6 cartes et on place en-dessous de celui-ci le (superbe !) tapis de jeu qui représente l’Afghanistan. Sur celui-ci, on place le marqueur de « régime » sur l’icône « politique ». Chaque joueur va ensuite choisir successivement l’alliance qu’il souhaite rejoindre parmi les Britanniques, les Russes et les Afghans. On est alors fin prêt à commencer.
Asseoir sa domination …
La partie sera rythmée par les quatre cartes de « contrôle de dominance » perdues dans le deck. A chaque fois que celles-ci s’activeront, le jeu s’arrêtera et on devra vérifier si une alliance est dominante sur le territoire ou non. Ce critère est rempli si une des factions possède au moins plus de quatre blocs de sa couleur que toutes les autres. Dans ce cas, on va alors classer les joueurs qui font partie de cette alliance en fonction de leur niveau d’influence auprès d’elle. Dans le cas contraire, on classera les joueurs en fonctions du nombre de tribus et d’espions qu’ils auront placés en jeu. Les joueurs marqueront alors des points en fonction de leur position.
Si, après avoir effectué le « contrôle de dominance », un joueur possède au moins quatre points de plus que tous les autres, la partie s’arrête immédiatement et ce dernier est déclaré vainqueur. Si au quatrième contrôle cette condition n’est toujours pas remplie, le vainqueur sera celui qui aura marqué le plus de points.
Ce système pousse à ne pas laisser un joueur « non-menaçant » faire sa popote dans son coin. Lors de ma première partie (à trois joueurs), je faisais partie de la même alliance qu’un autre joueur et comme nous nous sentions confiants car nous étions à deux, nous n’avions pas prêté attention à notre adversaire qui, au premier contrôle de dominance, a été seul joueur dominant ce qui lui a accordé cinq points et nous zéro. Victoire directe sans discussion ! Je peux vous dire qu’on ne s’était pas senti très malin …
Etablir son territoire …
La première chose sur laquelle chaque joueur doit (à mon sens) se concentrer est l’extension de son territoire. Au cours du jeu, vous allez pouvoir placer des tribus sur la carte. Si vous (vos tribus) et vos alliés êtes les plus nombreux sur une zone, vous la dominez et devenez le maître de cette zone en prenant le jeton qui lui est associé. Celui-ci vous permettra de faire payer tout joueur qui souhaiterait s’aventurer dans votre région…
Vos armées alliées pourront d’ailleurs empêcher d’autres joueurs de maîtriser une région. Bah oui … Vous n’allez tout de même pas faire la loi si vous n’avez pas de quoi mater l’ennemi !
Ouvrons la cour …
Durant la partie, vous allez principalement acheter des cartes au marché et les jouer devant vous. Cela symbolise le fait d’inviter et d’accueillir une haute personnalité dans votre cour pour qu’elle vous loue ses services.
A votre tour, vous n’aurez la possibilité de ne faire que deux actions et au début du jeu, vous n’aurez que deux options : acheter une carte ; en jouer une.
Pour acheter une carte, il vous faudra placer une pièce pour chaque carte se trouvant à sa gauche sur sa ligne dans le marché (comme dans Century – La route des épices). Rien ne vous empêche d’acheter deux cartes durant le même tour mais les règles interdisent d’acheter une carte sur laquelle vous auriez posé de l’argent (pour n’importe quelle raison).
Jouer une carte revient à la placer devant vous dans votre cour. Cela se fait en deux temps : tout d’abord, il vous faut annoncer la région associée à la carte que vous jouez et si celle-ci n’est contrôlée par aucun joueur, vous pouvez la jouer gratuitement. Sinon, vous êtes tenu de payer une dîme au joueur la dominant. Si vous êtes incapables de payer, vous pouvez lui quémander un acquittement … On ne sait jamais. Personnellement, j’ai toujours pensé que les bons comptes font les bons amis (ou les bons ennemis !).
Ah ! Tout ce beau monde dans mon palais …
Le placement de votre première carte se fera sans contrainte mais à partir de la deuxième, vous devrez choisir de la mettre à gauche ou à droite des précédentes. Vous n’êtes pas autorisé à bouger librement ces dernières car elles forment avec celles de vos adversaire une longue route continue. Au cours de la partie, des espions vont pouvoir se déplacer de carte en carte pour les prendre en otage voire pour les assassiner ! La position des cartes jouées est donc importante !
En plaçant des dignitaires dans votre cour, vous allez ajouter des options à votre pool initial et ainsi débloquer des actions afin de progresser dans le jeu. Parmi celles-ci, les plus importantes seront notamment le placement de nouvelles unités et l’assassinat à l’aide vos espions.
Chaque carte est également associée à un régime du jeu et à un niveau déterminé par le nombre d’étoiles indiquées. Chacune des étoiles politiques vous permettra d’agrandir votre cour qui est initialement limitée à trois dignitaires. Les étoiles scientifiques augmenteront la capacité de votre main et les étoiles économiques protégeront votre fortune d’une éventuelle taxation d’un adversaire. Enfin les étoiles militaires serviront de tie-breaker à la fin du jeu.
Contrôler le régime …
Je disais que chaque carte jouée dans votre cour vous offrait une option supplémentaire à votre pool d’action initial composé de l’achat et de la mise en jeu d’une carte. Toutefois, l’utilisation d’une de ces options vous coûtera toujours une action sur les deux que vous avez à votre tour.
Le twist réside alors dans le contrôle du régime en cours. En effet, si vous avez des cartes qui appartiennent à ce dernier, leurs actions vous seront gratuite ! Surveillez donc bien les cartes de vos adversaires et ne les laissez pas devenir inarrêtable ! Ces actions gratuites peuvent littéralement retourner la partie en un tour !
Faire partie de la majorité …
En attendant le « contrôle de dominance », vous allez donc vous évertuer à étendre la domination de votre alliance sur le territoire afghan. Aucune règle n’interdit les joueurs de tous être l’allié de la même faction mais dans ce cas, il va vous falloir rentrer dans les petits papiers de celle-ci en tuant des personnalités pour elle ou en leur offrant des cadeaux.
Il est tout aussi difficile de progresser sans allié que de faire monter son influence auprès d’une faction commune. A plusieurs moments, vous serez penserez à changer de camps car il vous sera plus simple d’atteindre la première place plutôt que de vous contenter de la troisième avec votre situation en cours. Pieds de nez et trahisons seront au cœur du jeu et je vous conseille de faire bien attention aux options que vos adversaires placeront au cours de la partie. Gardez un œil sur les évènements en cours mais guettez au loin la menace planant sur votre empire. Il ne faudrait pas laisser un cheval de Troie entrer dans vos terres.
Un trésor, au prix d’un trésor …
Pax Pamir a de quoi faire peur au premier abord. Parlons d’abord de ce qui fâche, histoire de ne plus en parler : son prix. Entre 75 et 85 euros, clairement, c’est un investissement et nombreux seront frileux de mettre une telle somme dans un jeu sans le tester.
Le contenu est clairement de qualité. Le premier élément remarquable, ce sont clairement les pièces du jeu. Ces blocs en résine soigneusement gravés pèsent lourd et sont fort agréables à prendre en main. Le jeu contient 142 cartes portant chacune une illustration différente avec une description historique de la personnalité qui lui est associée.
C’est d’ailleurs le matériel de Pax Pamir qui m’avait donné envie de l’acheter ! J’adore tous ces jeux avec du matériel un peu insolite. Je pense à Root ou à Dragoon notamment. On ne peut rien y faire, aujourd’hui, le visuel d’un jeu est fort important et à mon goût, Pax Pamir a clairement rempli son contrat à ce niveau-là.
Alors, est-ce que cela justifie un tel prix ? Je vous avoue que je n’en sais rien. Je ne suis pas éditeur. S’abstraire du prix d’un jeu est foncièrement impossible à faire. Je ne pense pas m’être fait « arnaquer » mais je ne pense pas que je payerai toujours autant pour un jeu. Toutefois, comme mon vendeur m’a dit : « Le prix d’une partie c’est le prix que tu as payé divisé par le nombre de partie que tu auras faite ». Je n’ai clairement aucun regret de l’avoir acquis !
Et donc ?
Parlons du jeu en lui-même maintenant ! Possédant la version anglaise du jeu, j’ai pris deux fois plus de temps pour bien comprendre les règles. Je vous conseille toutefois de les lire après avoir fait une mise en place fictive d’une partie. Celles-ci sont parsemées de situations exemples qui vous aideront à les appréhender. Il n’y a rien à dire, une seule lecture suffit pour se lancer dans le jeu.
Diviser pour mieux régner, dominer pour gouverner…
Avant d’acquérir Pax Pamir, j’étais à la recherche d’un jeu qui pouvait allier guerre, alliance et trahison, gestion de ressources et d’actions et qui devait avoir un visuel qui claque. En regardant quelques photos et quelques reviews, je savais que j’allais être ravi.
Parfois, lors de partie de jeux ultra compétitifs, deux joueurs peuvent s’associer et fermer leur alliance à eux deux pour devenir complètement inarrêtables. Ici, ce que j’adore, c’est que vous ne choisissez pas vos « alliés ». Même en faisant partie de la même équipe, vous pouvez vous faire des coups bas en assassinant des cartes de votre partenaire qui reste tout de même votre adversaire. Le seul moyen pour vous venger sérieusement vous est de changer d’alliance avec comme conséquence de tout reprendre à zéro.
Ça sera à vous de choisir entre rejoindre l’Alliance (avec un grand A) et tenter de tirer votre épingle du jeu ou de partir en solo et potentiellement gagner avec beaucoup de prestige. Aucune de ces stratégies n’est réellement mauvaise et il vous faudra déterminer le moment propice au changement afin de toujours être dans le bon.
Pax Pamir transcrit une vraie sensation de guerre. Il vous faut vous faire des alliés, contrôler vos ennemis mais aussi vos amis, diviser les alliances adversairses … et cela avec une prise en main très rapide. Vous n’avez qu’un but : étendre votre influence à l’aide d’uniquement deux actions par tour. Toutes les actions du jeu sont assez simples à comprendre et sont fort thématisées par la guerre. Vous devez placer des soldats, des routes, des assassins …
Clairement, il y a une énorme courbe d’apprentissage à gravir et il faudra bien plus que deux ou trois parties pour apprendre à fomenter les meilleurs pièges politiques pour prendre le pouvoir sur l’Hindukush. A ma première partie, je ne savais pas trop ce que je faisais. Mon expérience dans des jeux de civilisations et de guerres m’indiquait quelques marches à suivre mais je n’étais jamais vraiment sûr de l’efficacité de mes actions. Toutefois, et je pense que c’est un point critique du jeu, la partie devient vite très fluide. Après quatre ou cinq tours, vous pouvez lâcher l’aide de jeu et tous vous débrouillez tout seul. Cela est dû à la simplicité du résultat des actions sur votre objectif de jeu. Vous n’aurez jamais besoin d’attendre la fin du jeu pour voir si ce que vous avez fait fonctionne ou non.
Il n’y a pas, voire plutôt peu, de programmation et d’anticipation. Vous devez principalement vous concentrer sur l’instant présent et surveiller les actions et les options de vos adversaires afin d’optimiser votre tour. A aucun moment je n’ai ressenti cette sensation d’avoir raté « Ze » move qui allait me donner un avantage certain. A aucun moment je n’ai ressenti cette frustration de m’être fait arrêter dans mon élan stratégique à cause d’une action d’un adversaire.
Pour le moment, je n’ai fait que des parties à trois joueurs ce qui encourage généralement à tous faire partie de la même faction et j’ai fort hâte de pouvoir le tester à quatre voire cinq. Les retournements de situation doivent être encore plus critiques et encore plus sensationnels ! Chacune de mes parties était plus agréable les unes que les autres. Je n’ai jamais perdu le contrôle de mon jeu et je pense que mes adversaires ont senti la même chose. Je pense que c’est là un des points forts de Pax Pamir.
Et en fait je suis conquis !
Pour conclure, j’aimerais dire que Pax Pamir est le jeu parfait pour ceux qui souhaiteraient s’essayer à un gros jeu qui ne vous fera pas trop griller les méninges. Même si j’adore certains gros jeux comme Terraforming Mars ou Bruxelles 1892, je dois reconnaître qu’il est vraiment très difficile de choisir sa stratégie même après plusieurs parties dû au fait que vous avez plusieurs manières de progresser dans le jeu. Ici, tout le monde a le même objectif et cela permet ainsi une analyse facile du jeu des adversaires sans pour autant donner une sensation de course à la couronne.
En ce début d’année compliqué pour le monde ludique, Pax Pamir m’a bluffé par son gameplay fluide et sa richesse en sensation. Je ne regrette nullement m’être jeté dessus aveuglément et j’ai hâte de pouvoir faire encore et encore d’autres parties.